Pour sa traditionnelle soirée annuelle, l’AéCF fêtait le 6 février dernier les 50 ans du premier pas sur la Lune et du premier vol d’essai du Concorde en remettant sa Grande Médaille à deux grands acteurs de l’histoire aérospatiale, Buzz Aldrin, membre de l’expédition lunaire Apollo XI et Jean Pinet, pilote d’essais du Concorde.
Buzz Aldrin retenu aux Etats-Unis par le Discours de l’état de l’Union, la Grande Médaille honorant l’équipage d’Apollo XI a été remise à Timothy Tawney, représentant de la NASA en Europe, par Jean-Loup Chrétien, premier astronaute français dans l’espace.
Patrick Gandil, Directeur Général de la DGAC a ensuite remis la Grande Médaille à Jean Pinet, ingénieur et pilote d’essais aux commandes du Concorde lorsque que ce dernier passe pour la première fois le mur du son, le 1er octobre 1969.
Une très belle soirée au cours de laquelle la présidente, les membres du conseil d’administration, anciens et nouveaux membres et personnalités présentes ont pu se retrouver ou faire connaissance dans une ambiance conviviale.
Discours de Monsieur Jean Pinet, le 6 février 2019 à l’Aéro-Club de France
Madame la Présidente, Mr le Directeur général, Mesdames, Messieurs,
Je suis fier de cette distinction que m’accorde la plus ancienne des associations mondiales d’aviateurs. Avec la progression rapide de l’aviation, le métier de pilote a la fâcheuse tendance à s’éloigner de la condition d’aviateur, essentielle pour pleinement apprécier la troisième dimension désormais sans limite. Heureusement l’Aéro-Club privilégie les activités où existe encore une certaine liberté d’évolution, ou plutôt où existe encore la possibilité d’en tirer des satisfactions humaines, plutôt que purement techniques, voire strictement professionnelles.
Nous sommes quelques-uns à nous inquiéter de l’évolution du métier de pilote de l’aviation de transport. A vrai dire je crains d’en porter une part de responsabilité car j’ai été l’un des tout premiers ingénieurs de formation de base à devenir pilote d’essais, en 1958. Aujourd’hui le parcours est classique, mes jeunes camarades sont de hauts techniciens-aviateurs, motivés, car les essais en vol offrent toujours des situations où l’on a besoin d’habiletés physiques et mentales, où l’on reste aviateur. Mais qu’en sera-t-il pour la toujours croissante population de pilotes de l’aviation de transport ?
Il y a 40 ans nous avons fait l’erreur de penser que les automatismes et les procédures allaient résoudre tous les problèmes. Cette idée fut confortée par l’important abaissement du taux d’accidents. Cependant, malgré la persistance de sa faible valeur, les analyses d’incidents et d’accidents nous laissent atterrés devant leurs causes statistiquement improbables. En conséquence on assiste à un retour lent et incertain vers des valeurs négligées, comme le pilotage manuel.
En revanche une très forte tendance contraire, basée sur des motivations essentiellement économiques, milite vers l’idée de supprimer progressivement les pilotes du cockpit. L’idée est reprise par des techniciens, des ingénieurs pour qui l’intelligence artificielle semble être la solution à tout problème humain.
Le réveil vers l’humain du technicien que je suis, est survenu à la suite de deux incidents majeurs sur le Concorde prototype 001. Le premier avec la perte de rampes d’entrée d’air à Mach 2, le deuxième dans une dangereuse divergence de vent à l’atterrissage, au cours d’une mission avec le Président de la République, incidents auxquels nous, pilotes d’essais confirmés, n’avions rien compris. D’où mon orientation de carrière vers la formation, qui m’a permis d’introduire l’humain dans un secteur hyper-technique.
N’ayant pas eu le privilège de marcher sur la Lune, sans conteste le sommet de ma carrière se trouve dans mes 16 années d’essais en vol de Concorde, que j’ai adoré. Ce fut l’avion le plus précis et le plus agréable de tous ceux que j’ai pu piloter. J’ai eu la satisfaction de lui faire passer le mur du son le 1er octobre 1969. Mais en réalité ce fut un vol sans histoire, presque frustrant dans son identité avec les essais préalables sur simulateur. La surprise vint à l’arrivée, au parc, avec les journalistes auxquels je ne m’attendais pas.
A l’époque de la règle à calcul et des gros calculateurs analogiques, tout ce qui concernait l’avion était un défi. Son objectif en premier lieu : transporter 100 passagers se déplaçant à la vitesse d’un obus anti-char au-dessus de l’Atlantique. J’ai participé avec enthousiasme à l’aventure, totalement pris par ma tâche, et sans réaliser qu’un jour ce magnifique avion pouvait devenir légendaire. A l’analyse objective des actuels projets supersoniques médiatisés, le défi ne sera pas relevé avant longtemps malgré le numérique et l’intelligence artificielle. A moins bien sûr de faire sauter les limites règlementaires.
Ancien président de l’Académie de l’air et de l’espace il me serait difficile de ne pas évoquer ses relations avec l’Aéro-Club de France. Nous sommes quelques-uns à avoir essayé d’orienter l’Académie vers l’aviation générale et nous avons échoué. En fait d’autres s’en occupaient plus efficacement que nous, dont l’Aéro-Club. Je pense que nous aurions intérêt à cultiver notre complémentarité. L’orientation de l’Académie vers l’Europe rend peut-être moins aisées nos relations, cependant les deux associations ont des membres communs. Et nous devons nous rappeler le rôle essentiel qu’a joué l’Aéro-Club dans l’essor mondial de l’aéronautique, et celui qu’il poursuit en maintenant un humanisme dans la condition d’aviateur et de spationaute. Ainsi que dans la préservation du patrimoine aérospatial, humain et matériel.
Si par extraordinaire je l’oubliais cette médaille me le rappellerait.
Merci pour son attribution.